AUTEUR DE L’ARTICLE
Docteurs vétérinaires Maxime GAUDIN – Unité de neurologie & Lucile GIRAUD – Dip ECVN unité de neurologie

Vétérinaire Neurologie

Un exemple de polyneuropathie chez un jeune Bengal

Un chat Bengal, femelle stérilisée, âgé de 10 mois est référé pour des difficultés locomotrices évoluant depuis 1 mois.
A l’examen clinique, la chatte présente une tétraparésie difficilement ambulatoire, une ataxie postérieure et une plantigradie. Des tremblements intermittents de la tête sont également notés. Les réactions posturales sont diminuées aux membres pelviens et les réflexes médullaires sont diminués aux 4 membres. Le tonus musculaire des membres est également diminué.

Face au tableau clinique de tétraparésie flasque, une affection neuromusculaire est suspectée.

Les investigations sanguines et radiographiques ne révèlent aucune anomalie. Une étude électrodiagnostique (EMG et ENG) permet de mettre en évidence une polyneuropathie démyélinisante. Compte-tenu de la race, une polyneuropathie démyélinisante-remyélinisante du Bengal est suspectée.

Anamnèse

Une chatte Bengal, femelle stérilisée, âgée de 10 mois est référée pour des difficultés locomotrices évoluant depuis 1 mois. Elle vit en intérieur strict, n’a jamais voyagé et n’a pas d’antécédent médical. Elle pèse 4,2 kg et est nourrie aux croquettes pour chat stérilisé.

Les signes cliniques ont débuté par une incapacité à sauter puis ont évolué progressivement vers une faiblesse postérieure, des troubles de la coordination et des tremblements. L’appétit est conservé. L’état général est bon.

Le vétérinaire traitant a réalisé des radiographies de la colonne vertébrale et des membres pelviens qui n’ont pas révélé d’anomalie ainsi qu’un test sérologique FeLV et FIV négatif. Un traitement anti-inflammatoire non stéroïdien n’a pas permis d’amélioration.

Examen clinique

L’examen général est dans les normes exceptée une amyotrophie modérée et symétrique plus marquée en région pelvienne.
A l’examen nerveux, la chatte présente une tétraparésie difficilement ambulatoire ainsi qu’une plantigradie et une ataxie postérieure. Des tremblements intermittents de la tête sont observés. Les réactions posturales sont très diminuées aux membres pelviens, normales aux membres thoraciques. Les réflexes médullaires sont diminués aux 4 membres. L’évaluation des nerfs crâniens ne montre aucune anomalie. Aucun signe de douleur n’est manifesté.

Diagnostic différentiel

Le tableau clinique de tétraparésie flasque associée à une diminution des réflexes médullaires est en faveur d’une atteinte des motoneurones périphériques. Aussi, une affection neuromusculaire doit être suspectée en priorité.

  • Inflammatoire : Myasthénie grave / Polyradiculonévrite (infectieuse ou à médiation immunitaire) /  Polymyosite (infectieuse ou à médiation immunitaire)
  • Métabolique : Polyneuropathie diabétique / Polyneuropathie hypertriglycémique / Myopathie par déficience en thiamine / Myopathie hypokaliémique
  • Toxique : Botulisme / Médicamenteux / Paralysie par piqure de tiques
  • Dégénératif : Polyneuropathie héréditaire (axonale ou démyélinisante) dont polyneuropathie chronique démyélinisante/remyélinisante du Bengal

Examens complémentaires

  • Un bilan sanguin biochimique incluant un ionogramme est réalisé afin d’écarter une piste métabolique. Les paramètres sont dans les valeurs usuelles. La créatine kinase, enzyme exprimée par les tissus musculaires et les cellules myocardiques, est très légèrement augmentée (504 U/L, normes < 314) signant une légère cytolyse musculaire probablement secondaire au décubitus prolongé de l’animal. Une sérologie toxoplasmose (IgM et IgG) est négative.
  • Des radiographies de thorax permettent d’écarter la présence d’une masse médiastinale ou d’un mégaoesophage dans l’hypothèse d’une myasthénie grave.
  • Afin de localiser plus précisément l’origine du trouble fonctionnel, une étude électrodiagnostique est réalisée sous anesthésie générale.

L’électromyogramme (EMG) permet d’étudier l’activité électrique des muscles. Lorsque les muscles sont au repos, il n’y a normalement pas d’activité spontanée enregistrée une fois l’aiguille d’enregistrement insérée dans les fibres musculaires. Chez notre patient, nous observons la présence de potentiels de fibrillation et des pointes positives (Figure 1). Cette activité spontanée anormale est plus sévère au niveau des membres pelviens et en portion distale des membres. Cela peut signifier la présence d’une myopathie ou d’une dénervation des muscles.

Figure 1 : EMG du muscle interosseux métacarpien 2 (en haut) et 3 (en bas). Présence de pointes positives (pic positif vers le bas suivi d’un pic négatif vers le haut plus lent, amplitude de 50-4000 µV, durée <5ms) et potentiels de fibrillation (ondes bi/triphasiques, amplitude de 20-200µV, durée 1-5 ms).

L’électroneurogramme (ENG) permet de mesurer l’amplitude et la vitesse de conduction des nerfs moteurs et sensitifs. Dans le cas de notre chat, la vitesse de conduction des nerfs sciatiques et ulnaires est nettement diminuée et une polyphasie de certaines ondes est observée (Figure 2). Les amplitudes des potentiels d’action sont également diminuées. L’ensemble de ces données sont en faveur d’une polyneuropathie démyélinisante.

Figure 2 : ENG du nerf sciatique tibial gauche (gauche) : vitesse de conduction modérément diminuée à 73 m/s (normes : +/- 93 m/s), amplitude diminuée et polyphasie de l’onde notée. ENG du nerf ulnaire droit (droit) : vitesse de conduction sévèrement diminuée à 40 m/s (normes : +/- 82 m/s), amplitude diminuée.

La stimulation répétée de la jonction neuromusculaire ne montre pas de signe de fatigabilité. Il n’y a pas de décrément ni d’incrément observé ce qui écarte l’hypothèse d’une myasthénie grave ou d’un botulisme.
Enfin, afin d’écarter la présence d’une maladie inflammatoire, une ponction du liquide céphalorachidien est réalisée. Elle se révèle normale, sans pléiocytose ni protéinorachie.

Diagnostic

L’étude électrodiagnostique montre la présence d’une polyneuropathie démyélinisante. Compte-tenu de la race de l’animal, une polyneuropathie démyélinisante-remyélinisante des jeunes Bengals est suspectée. Cette affection encore mal connue est régulièrement observée chez les chatons de race Bengal. L’âge d’apparition moyen des signes cliniques est de 10 mois. Des biopsies nerveuses permettraient d’obtenir un diagnostic plus précis. Habituellement, ces biopsies révèlent la présence des cellules inflammatoires mononuclées infiltrant les fibres nerveuses.

Traitement et pronostic et suivi

Il n’existe pas de consensus vis-à-vis du traitement. Une récupération spontanée et progressive, partielle ou totale, est observée dans la grande majorité des cas. Parfois, l’ajout d’un traitement corticoïde apparait bénéfique. Pour notre patient, un traitement corticoïde (prednisolone 1 mg/kg/jour) diminué graduellement a été proposé compte-tenu de la détérioration de la locomotion depuis plus d’un mois. Des signes d’amélioration ont été noté après 48h de traitement. Aujourd’hui la chatte se déplace avec aisance mais conserve une discrète paraparésie. Les récidives pour cette affection non douloureuse sont fréquentes. Cependant, les animaux récupèrent dans la grande majorité des cas et leur qualité de vie reste tout à fait satisfaisante.