Assistant médecine interne

AUTEURS
Dr Vet. Aymeric SCHVIRTZ DMV – Assistant medecine interne
Dr Vet. Adeline BETTING DMV – Dip ACVIM (AIM)

L’apparition de calculs de cystine est liée à une affection héréditaire à l’origine d’une cystinurie pathologique. Cette affection se caractérise par un défaut de réabsorption de la cystine par le transporteur dédié aux acides aminés dibasiques (COLA = Cystine, Ornithine, Lysine, Arginine) dans le tubule contourné proximal des néphrons. En situation physiologique, ces acides aminés plasmatiques sont librement filtrés par le glomérule puis réabsorbés à plus de 99% dans le tubule contourné proximal par le transporteur COLA ; en cas de dysfonction de ce transporteur, leur concentration urinaire augmente sévèrement. Du fait de sa faible solubilité, la cystine a tendance à précipiter en formant des urolithes. Plusieurs mutations ont été identifiées sur les gènes SLC7A9 et SLC3A1 dans différentes races canines et félines ; des tests génétiques existent pour une dizaine de races de chien. 

Trois types de transmission ont été mis en évidence :

  • Type I : hérédité autosomique récessive
  • Type II : hérédité autosomique dominante
  • Type III : hérédité limitée au sexe, avec expression androgène-dépendante (exprimée uniquement chez les mâles entiers)

Une cystinurie pathologique n’est cependant pas une condition suffisante pour engendrer des urolithes de cystine et de nombreux chiens cystinuriques ne développent pas de calculs de cystine3 : la sursaturation des urines en cystine favorise la précipitation de cristaux puis la formation de calculs seulement si certaines conditions d’environnement (pH urinaire notamment, mais également présence d’inhibiteurs/promoteurs de la cristallisation et densité urinaire) sont remplies.

La prévalence des urolithes de cystine parmi les chiens souffrant de lithiases urinaires est très variable selon la zone géographique. En Amérique du Nord la prévalence est comprise entre 1 et 3%4,5,6 avec une tendance à la hausse5. En Europe, la prévalence est plus élevée, atteignant jusqu’à 14% dans les études les plus récentes6,7.

Des calculs de cystine ont été diagnostiqués chez plus de 170 races de chien différentes2 ; les races les plus fréquemment rapportées sont les Bulldog Anglais, Bouledogues Français, Terre-Neuve, Teckels, Chihuahuas, Staffordshire Bull Terriers, Rottweilers, Pinschers nains, Yorkshire Terriers et Bassets Hound. Les mâles entiers (70 à 75% des urolithes de cystine) sont significativement plus représentés que les mâles castrés (23%) ou que les femelles (1.3%)5,7. Cette prévalence élevée chez les mâles entiers pourrait s’expliquer en partie par la cystinurie androgène-dépendante de type III et par les différences dans les habitudes de castration entre les pays.

Le diagnostic des urolithes de cystine repose sur une convergence d’éléments épidémio-cliniques en faveur de cette hypothèse puis sur l’analyse des calculs. Les examens d’imagerie sont souvent peu informatifs sur la nature des calculs, mais sont indispensables pour leur localisation et le choix de la méthode de retrait. La radio-opacité des calculs de cystine est faible à modérée, rendant l’utilisation de la radiographie peu sensible pour leur détection, excepté si une cystographie de contraste est réalisée ; cette dernière ne permet cependant pas de différencier les calculs de cystine des autres types de calculs peu radio-opaques (urates et xanthines notamment). L’échographie permet de mettre en évidence des calculs vésicaux ou, moins fréquemment, rénaux ou urétéraux. Une analyse d’urine avec un pH < 6.5 et la présence de cristaux de cystine, d’aspect hexagonal, est fortement en faveur d’une cystinurie pathologique. Néanmoins, des cas de calculs sans cristallurie associée sont rapportés8 et, à l’inverse, une non-concordance est possible entre les cristaux identifiés et la nature des calculs.

Le diagnostic définitif repose sur l’analyse en laboratoire des calculs après leur retrait. Leur aspect macroscopique est variable en couleur (jaune pâle à brun) mais leur forme est habituellement ronde ou ovoïde avec une surface lisse. On retrouve souvent plus d’un calcul lors du diagnostic (médiane de 7 dans l’étude de Méric et al.9).

La prise en charge repose sur deux axes principaux : le retrait des calculs existants et la prévention de l’apparition de nouveaux calculs. Un suivi à vie est nécessaire afin de limiter le risque de récidive.

Retrait des calculs

  • La dissolution médicale est idéalement recommandée en première intention si les conditions de dissolution sont remplies (absence d’obstruction ou de risque d’obstruction du tractus urinaire, calculs pouvant être baignés dans l’urine en permanence). L’utilisation de tiopronine (chélateur de la cystéine) et d’une alimentation adaptée permettent de dissoudre la majorité des calculs. Cependant, cette approche est limitée par les difficultés d’approvisionnement en tiopronine dans de nombreux pays.
  • Si une dissolution médicale ne peut être réalisée, différentes techniques de retrait des calculs selon leur localisation et leur taille peuvent être envisagées, la cystotomie (± après rétrohydropulsion) restant la méthode la plus fréquemment choisie.
  • Un suivi médical et des mesures de prévention à vie sont indispensables pour limiter le risque de récidive, fréquemment observée dans les 6-12 mois après retrait des calculs si aucun traitement n’est mis en place2.

Prévention

  • Une alimentation humide et à teneur limitée en protéines animales (pauvre en purines) constitue l’élément principal de la prévention médicale. Un déficit en taurine et/ou carnitine pourrait apparaître si une alimentation de ce type est administrée au long terme. Des marques couramment recommandées sont Royal Canin UC ou Hill’s u/d. Si une ration ménagère est souhaitée, le calcul de cette dernière par un nutritionniste est indispensable.
  • Suivi régulier, à vie : analyse d’urines tous les 3-6 mois, examen d’imagerie (détection précoce d’une récidive) tous les 6-12 mois. L’analyse d’urines doit montrer un pH > 7.5 et une densité urinaire < 1.020 afin d’augmenter la solubilité de la cystine ; si ces critères ne sont pas remplis, des changements alimentaires et/ou médicaux doivent être envisagés.
  • En cas d’échec du changement alimentaire (paramètres urinaires inadéquats et/ou récurrence), un traitement médical peut être envisagé :
    • Citrate de potassium : agent alcalinisant
    • Tiopronine : chélateur de la cystéine limitant la formation de calculs de cystine ; disponibilité très variable selon les pays
    • D-pénicillamine : chélateur de la cystéine ; effets secondaires parfois marqués
  • La castration est recommandée chez tous les animaux afin de limiter la cystinurie androgène-dépendante (type III) et la transmission de la mutation génétique chez l’ensemble des animaux atteints10.
  • L’identification des animaux cystinuriques permet de prévenir l’apparition de calculs de cystine et de limiter la transmission des mutations génétiques en retirant les animaux atteints de la reproduction :
    • Recherche des mutations génétiques : disponible pour de nombreuses races canines
    • Mesure de la cystinurie (non disponible en routine)

En conclusion, les urolithes de cystine sont secondaires à une affection génétique affectant la réabsorption tubulaire de cystine, à l’origine d’une cystinurie pathologique menant à la formation d’urolithes. Des prédispositions raciales ont été identifiées et les mâles sont plus souvent affectés. Les calculs doivent tout d’abord être retirés (ou dissolus, selon la disponibilité de cette méthode), puis des mesures de prévention (alimentation principalement ; castration) doivent être mis en place. Un suivi régulier est recommandé afin de diagnostiquer précocement une récidive et d’adapter les mesures de prévention si nécessaire. Le pronostic est bon au long terme.