Alice KEFER assistante medecine 2023/2024

Victor Caudal Dip ACVIM(SAIM)

Présentation du cas :

Une chienne braque allemand femelle entière de 5 ans est présentée pour une douleur à l’oreille gauche d’apparition aigue il y a 4 jours. Cette douleur est associée à un prurit localisé et est apparue lors d’une partie de chasse La chienne présente également des raclements de gorge. La propriétaire rapporte une impression de flux d’air sortant par le conduit auditif gauche, notamment lors de la fermeture de la gueule et des narines. Mis à part cela, la chienne semble légèrement plus abattue mais présente un bon appétit, un bon état général et aucun autre trouble, notamment neurologique. Elle n’a pas d’antécédent particulier et n’a jamais présenté d’otite. Elle est correctement vaccinée et vermifugée (Figure 1).

L’examen clinique révèle un animal en bon état général, alerte et normotherme. Il n’y a pas d’anomalie à l’auscultation respiratoire. Les oreilles paraissent visuellement saines. Un flux d’air audible sifflant est mis en évidence au niveau du conduit auditif gauche, correspondant aux cycles respiratoires.

A ce stade, une brèche au niveau de la membrane tympanique est suspectée, expliquant ce flux d’air anormal au niveau du conduit auditif externe gauche. Étant donné l’apparition aigue lors de chasse, une cause traumatique est envisagée en priorité, tel qu’un corps étranger perforant ou un choc sévère. Une infection chronique du conduit auditif résultant en une otite externe et moyenne avec lyse de la membrane tympanique secondaire doit également être envisagée. Une tumeur du conduit auditif engendrant une lyse de la membrane tympanique semble moins probable, car le plus souvent obstructives et non permissive. Un

barotraumatisme est rapporté comme cause de rupture tympanique chez l’Homme, en particulier lors de plongée, mais n’a jamais été décrit chez le chien.

Un examen vidéo-otoscopique est réalisé et révèle une oreille droite saine. L’examen vidéo-otoscopique de l’oreille gauche met en évidence quelques sécrétions mais permet d’infirmer l’hypothèse d’otite externe. Aucune brèche au niveau de la membrane tympanique n’est visualisée à la vidéo-otoscopie (Figure 2). Le test de perméabilité est négatif initialement, mais positif après l’examen de scanner. Il est donc probable qu’une brèche tympanique soit bel et bien présente mais difficilement visualisable à l’examen vidéo-otoscopique.

Figure 2. Examen vidéo-otoscopique de l’oreille gauche et visualisation d’un tympan semblant intègre

Une rhinoscopie avec notamment l’exploration du naso-pharynx en rétroflexion est réalisée et ne montre aucune anomalie. Bien que le lieu d’abouchement des trompes d’Eustache ne soit puisse pas être précisément identifié aucun corps étranger ni processus néoplasique n’est mis en évidence (Figure 3).

Un examen tomodensitométrique du crâne est réalisé. Une sévère dilatation de la trompe d’Eustache gauche est mise en évidence tandis que la trompe d’Eustache droite est dans les normes (Figure 6 et 7). Le reste de l’examen tomodensitométrique est normal, notamment les cavités nasales, le nasopharynx, les conduits auditifs ainsi que les bulles tympaniques qui s’avèrent vides et présentent une paroi fine. Les structures osseuses des oreilles internes ont un aspect normal (Figure 4 et 5). L’examen tomodensitométrique conclut donc à une trompe d’Eustache gauche dilatée, appelée également « patuleuse ».

Figure 4. Examen tomodensitométrique du crâne en vue axiale montrant un aspect normal du conduit auditif externe et des bulles tympaniques bilatéralement

Figure 5. Examen tomodensitométrique du crâne en vue coronale montrant un aspect normal des cavités nasales

Figure 6 et 7. Examen tomodensitométrique du crâne en vue axiale. Noter la dilatation marquée de la trompe d’Eustache gauche (flèche verte).

Étant donné les anomalies mises en évidence lors des différents examens complémentaires et surtout l’absence de cause expliquant la perforation tympanique, l’hypothèse diagnostique la plus probable est un barotraumatisme de l’oreille moyenne et interne lors de la chasse avec une dilatation de la trompe d’Eustache associée.

Dans le cas présent, étant donné l’absence d’infection de l’oreille externe ou moyenne ainsi que l’absence de corps étranger perforant, la prise en charge repose principalement sur la mise en place d’un anti-inflammatoire non-stéroïdien (AINS) pour la gestion de la douleur et une hygiène auriculaire stricte afin d’éviter le développement d’une otite moyenne par contamination via l’oreille externe ou le nasopharynx. Les baignades ont notamment été interdites et un repos strict de 3 semaines, sans chasse, a été vivement recommandé. Une cicatrisation spontanée de la membrane tympanique est attendue.

Discussion

L’oreille moyenne est une chambre remplie d’air situé en arrière de la membrane tympanique et connectée au nasopharynx via la trompe d’Eustache. Cette dernière constitue une structure fermée s’abouchant en arrière des cavités nasales et pouvant s’ouvrir sous le contrôle de muscles lors de la mastication et la déglutition. Ses principales fonctions reposent sur l’égalisation de la pression atmosphérique entre l’oreille moyenne et le nasopharynx, la protection de l’oreille moyenne contre les sécrétions venant du nasopharynx ainsi que la ventilation et le drainage de l’oreille moyenne. Elle protège également l’oreille moyenne contre les sons forts1,2.

La pression dans l’oreille moyenne est maintenue par 2 mécanismes : l’échange gazeux au niveau de la muqueuse de l’oreille moyenne et l’ouverture de la trompe d’Eustache. Il a été suggéré que la pression diminue progressivement dans l’oreille moyenne saine suivie d’une ouverture de la trompe d’Eustache permettant de ramener l’oreille moyenne à une pression égale à la pression atmosphérique3.

Les principales causes de perforation de la membrane tympanique reposent sur la complication d’une infection en cas d’otite moyenne ou un traumatisme entraînant une différence de pression entre l’air dans l’oreille moyenne et l’atmosphère externe, due à une incapacité de la trompe d’Eustache à équilibrer ces pressions. Concernant notre animal, nous suspectons cette dernière hypothèse, notamment via une augmentation sévère de la pression atmosphérique lors d’une course rapide, d’un choc ou d’un son important durant la chasse. Lorsque la différence de pression augmente, la trompe d’Eustache, si elle fonctionne correctement, s’ouvre passivement et évacue l’air à pression positive, égalisant ainsi les pressions de l’oreille moyenne et de l’air ambiant. Chez l’Homme, si le différentiel de pression atteint 100 à 500 mmHg, la membrane tympanique se rompt, ce qui peut entraîner des séquelles graves telles que surdité, vertiges et vomissements4.

Le dysfonctionnement de la trompe d’Eustache a été décrit chez l’Homme comme une trompe d’Eustache qui ne remplit pas au moins une de ses fonctions et ne s’ouvre ou ne se ferme pas correctement. Il existe 3 sous-types de dysfonctionnement, associés à des facteurs congénitaux ou acquis, rapportés chez l’Homme :

– Dilatation de la trompe d’Eustache due à un dysfonctionnement dynamique ou à une obstruction (anatomique ou fonctionnelle)

– Une dysfonction de la trompe d’Eustache induite par un changement barométrique, associé à des changements d’altitude ou de pression barométrique.

– Une trompe d’Eustache dite « patuleuse » se caractérisant par un défaut de fermeture de cette trompe d’Eustache, entraînant un passage des éléments (air, son, sécrétions) entre le nasopharynx et l’oreille moyenne1,3

Le dysfonctionnement de la trompe d’Eustache se traduit chez l’Homme par des claquements auditifs, des acouphènes, une autophonie sonore et des signes d’inconfort3. La perforation de la membrane tympanique peut induire une perte auditive et des vertiges2. Dans le cas de notre chien, il est difficile de mettre en évidence ces signes cliniques bien que des signes de gêne (secouement de tête), des démangeaisons de l’oreille et de l’abattement ont été rapportés, pouvant potentiellement témoigner d’un certain inconfort. La pathophysiologie de ce défaut de fermeture de la trompe d’Eustache est probablement multifactorielle et complexe. Elle peut être primaire ou secondaire à une cause sous-jacente. Dans la plupart

des cas, aucun élément déclencheur n’est mis en évidence bien que de nombreux facteurs de risque congénitaux ou acquis ont été signalés chez les humains atteints. Dans les causes les plus fréquentes de dysfonctionnement de la trompe d’Eustache, on retrouve les infections respiratoires hautes, la radiothérapie causant des lésions de fibrose au niveau du nasopharynx, l’intubation endotrachéale et l’otite moyenne chronique2. Dans le cas de cette dernière, la trompe d’Eustache ne peut plus jouer son rôle de protection de l’oreille moyenne contre toutes les sécrétions venant du nasopharynx via l’ascenseur muco-ciliaire et son action péristaltique, pouvant également résulter en une otite moyenne +/- externe ou une aggravation de celle-ci si elle était déjà présente3.

Divers traitements ont été tenté chez l’Homme, sans que l’efficacité n’ait été suffisante pour en recommander un en particulier. Dans le cas de notre chien, aucune complication immédiate n’a été mis en évidence et une cicatrisation du tympan par seconde intention a été décidée. En effet, une cicatrisation spontanée des perforations tympaniques est observée endéans les 7 à 10 jours dans environs 80% des cas. Cependant, en cas de complication, notamment la persistance d’une trompe d’Eustache « patuleuse » pouvant résulter en une otite moyenne, un retard de cicatrisation de la membrane tympanique pourrait être observé et un traitement médical pourrait s’avérer nécessaire5.

Conclusion

Étant donné le manque d’étude sur le sujet, principalement chez le chien, il est difficile de savoir si le dysfonctionnement de la trompe d’Eustache mis en évidence est primaire et donc dû aux variations de pression ayant entraîné le traumatisme ou s’il est secondaire à une cause sous-jacente et donc présent depuis un certain temps et prédisposant à la perforation tympanique2. Étant donné l’absence de signes ou d’antécédents d’otite moyenne et externe dans le cas présent, nous pencherons plutôt pour la première hypothèse, sans pouvoir la confirmer.