AUTEURS DE L’ARTICLE
Dr Vétérinaire Marine Roche-Catholy – Cardiologie
Les troponines cardiaques sont un ensemble de protéines globulaires impliquées dans la régulation des complexes actine-myosine responsables de la contraction myocardique. Chez l’homme, il a été amplement démontré que l’isoforme cardiaque de la troponine I (cTnI) était un marqueur de lésion myocardique, avec une forte spécificité et sensibilité. L’évaluation de la concentration circulante en cTnI est actuellement considérée comme le gold-standard du diagnostic non-invasif de l’infarctus myocardique chez l’homme. Il est également estimé que sa concentration est corrélée à la sévérité des lésions myocardiques, à l’intensité des signes cliniques et à l’espérance de vie des patients atteints. Son utilisation est désormais étendue à de nombreuses conditions associées directement ou indirectement à la survenue de lésions myocardiques, telles que l’insuffisance cardiaque congestive, l’embolie pulmonaire, le sepsis, l’insuffisance rénale, le diabète sucré ou encore la cardiotoxicité associée aux médicaments anticancéreux et aux sympathomimétiques.1
Similairement, il a été démontré chez le chien que la concentration en cTnI était corrélée au pronostic et à la sévérité des maladies cardiaques, notamment dans le cadre de la maladie valvulaire dégénérative mitrale (MVD).2,3 Par ailleurs, chez les chats atteints de cardiomyopathie hypertrophique (CMH), la concentration plasmatique de cTnI est un facteur prédictif de mortalité d’origine cardiaque, indépendamment de la présence ou non d’une insuffisance cardiaque congestive.4 Tandis que l’infarctus du myocarde secondaire au syndrome coronarien aigu est la pathologie la plus couramment associée à une élévation de la cTnI chez l’homme, celle-ci reste rarissime chez les carnivores domestiques. Une autre forme de souffrance myocardique, caractérisée par une infiltration inflammatoire diffuse du myocarde (i.e. myocardite) est plus couramment rencontrée chez le chien et le chat. Bien que le gold-standard ante mortem repose sur la réalisation de biopsies myocardiques, le diagnostic de suspicion repose en partie sur une élévation de la cTnI, avec une valeur médiane rapportée chez le chien de 12,2 ng/mL (0,2-808,0 ng/mL), sans qu’aucun cut-off diagnostique ou exclusif de myocardite n’ait été établi pour le moment.5 Dans l’espèce féline, cette infiltration myocardique inflammatoire est une origine possible de « l’hypertrophie myocardique transitoire », affectant généralement de jeunes chats et s’accompagnant typiquement d’une élévation de la cTnI, avec une valeur médiane rapportée de 5,5 ng/mL (3,1-11,9 ng/mL).6
Il est à noter toutefois, que plusieurs techniques de dosage de la concentration circulante en cTnI ont été décrites, aux caractéristiques bien différentes. Les générations de tests les plus récentes font appel à une méthode dite « ultrasensible » s’accompagnant d’un très faible seuil de détection. L’intérêt est de permettre d’identifier les augmentations frustes de cTnI, celles-ci pouvant notamment être porteuses d’une valeur pronostique chez l’homme.7 Leur valeur diagnostique ou pronostique chez l’animal de compagnie reste incertaine. Chaque technique de dosage, et donc chaque analyseur disponible, possède son propre seuil de détection et ses propres valeurs de référence, et cette donnée est cruciale pour assurer une bonne interprétation du résultat obtenu.1 Les études vétérinaires mentionnées précédemment ont été réalisées par le biais d’une technique d’immunoanalyse par chimiluminescence, avec seuil de détection pouvant atteindre 0,001 ng/mL, et donc qualifiée d’ultrasensible.2 Les résultats obtenus dans le cadre de ces études ne sont donc applicables qu’aux dosages réalisés avec ce type de dispositifs, actuellement réservés aux laboratoires extérieurs aux cliniques vétérinaires. S’y opposent les analyseurs portatifs, communément appelés « point-of-care » (POC), reposant sur un test immunoenzymatique (ELISA) de seuil de détection plus élevé, et donc de sensibilité moindre.
L’intérêt de l’évaluation de la cTnI circulante au chevet du malade reste indéniable, résidant dans la facilité et rapidité d’obtention des résultats. Plusieurs analyseur POC sont actuellement disponibles, dont l’iSTAT-1 développé par Abbott (figure 1). Malgré son seuil de détection plus élevé (0,02 ng/mL)8, plusieurs études sont en faveur de son utilisation chez les carnivores domestiques, l’incluant dans la prise en charge recommandée des cas d’insuffisance cardiaque congestive.9
Figure 1 : analyseur “point-of-care” permettant d’obtenir la concentration circulante en cTnI au chevet du patient.
Chez l’animal présenté pour difficultés respiratoires, cet analyseur permet d’assister le clinicien dans la hiérarchisation des hypothèses diagnostiques. Sur la base des résultats d’une étude réalisée sur 81 chats, une concentration en cTnI inférieure à 0,24 ng/ml permet d’exclure l’insuffisance cardiaque congestive comme cause de la dyspnée, tandis qu’une concentration supérieure à 0,66 ng/ml suggère une origine cardiaque.10 De même, une concentration supérieure à 1,5 ng/mL chez un chien présentant des difficultés respiratoires est en faveur de la présence d’une insuffisance cardiaque congestive.11 La valeur pronostique de la concentration en cTnI obtenue par cet analyseur semble même dépasser le cadre de l’insuffisance cardiaque. Sur une population de 129 chiens présentés pour n’importe quel motif dans le service d’urgence d’une université américaine, une concentration élevée en cTnI (> 0,1 ng/mL) s’accompagnait d’un risque de mortalité 8 fois supérieur par rapport aux chiens présentant une concentration normale (< 0,1 ng/mL).12
L’intérêt de son utilisation dans le cadre des suspicions de myocardites reste incertain, et requiert la réalisation d’études supplémentaires.
Bibliographie
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