Vétérinaire cardiologie

AUTRICE DE L’ARTICLE
Docteur vétérinaire Marine ROCHE-CATHOLY, PhD – Unité de cardiologie

 

Présentation du cas

Un chaton Européen mâle entier de 5 mois est présenté pour épisodes de dyspnée évoluant depuis l’adoption. A l’examen clinique, un souffle systolique parasternal médian de grade 4/6 est détecté, ainsi qu’une tachypnée sans anomalie audible à l’auscultation des champs pulmonaires. Un examen échocardiographique est réalisé sous sédation (butorphanol et alfaxalone administré conjointement par voie intraveineuse). Celui-ci révèle la présence d’une hypertrophie mixte ventriculaire droite sévère avec aplatissement du septum interventriculaire (figure 1A), une dilatation biatriale et plus particulièrement de l’atrium droit (figure 1B), ainsi qu’une dilatation du tronc pulmonaire et des artères pulmonaires. A l’examen Doppler couleur, une insuffisance tricuspidienne est visualisée, et sa vélocité est mesurée en mode Doppler continu à 4,6 m/s (correspondant à un gradient de pression de 83 mmHg ; figure 1C). Aucun shunt intracardiaque (communication interventriculaire ou interatriale) n’a été observé.

Images échocardiographiques - coupe apicale 4 cavités -OnlyVet

Figure 1 : Images échocardiographiques obtenues sur un chaton Européen mâle entier de 5 mois présenté pour épisodes de dyspnée évoluant depuis l’adoption.

A : Coupe petit axe transventriculaire par abord parasternal droit montrant une hypertrophie mixte sévère du ventricule droit (VD) avec aplatissement du septum interventriculaire (flèche blanche). VG : ventricule gauche.

B : Coupe grand axe 4 cavités par abord parasternal droit montrant une dilatation de l’atrium droit (AD) et de l’atrium gauche (AG).

C : Mode Doppler continu employé sur une coupe apicale 4 cavités par abord parasternal gauche centrée sur les cavités cardiaques droites, témoignant de l’élévation de la vélocité de l’insuffisance tricuspidienne.

SOMMAIRE

Quel est votre diagnostic différentiel ?

Comment compléter les investigations pour établir le diagnostic ?

Quelle approche thérapeutique envisager ?

Quel est votre pronostic pour ce chat ?

Quel est votre diagnostic différentiel ?

L’élévation de la vélocité de l’insuffisance tricuspidienne, associée aux remaniements cardiaques droits mentionnés ci-dessus, est fortement évocatrice d’une hypertension pulmonaire (HTP), la probabilité de la présence de celle-ci étant alors considérée comme élevée d’après les critères explicités dans le consensus ACVIM de 2020.1 En l’absence de cardiopathie gauche identifiable à l‘échocardiographie, les étiologies à envisager pour expliquer cette HTP incluent : une hypertension artérielle pulmonaire (induite notamment par la présence d’un shunt cardiaque congénital ; groupe 1), une HTP secondaire à une pathologie respiratoire (groupe 3), à la survenue d’un phénomène thrombotique pulmonaire (groupe 4), à une infestation parasitaire (groupe 5) ou encore une origine multifactorielle (groupe 6).

Comment compléter les investigations pour établir le diagnostic ?

D’après l’arbre décisionnel avancé par les experts du consensus ACVIM (figure 2)1, et en particulier dans le contexte d’un animal si jeune, la présence d’un shunt cardiaque congénital, intra ou extracardiaque, est à exclure en priorité. L’examen échocardiographique n’ayant pas identifié de communication interventriculaire ou interatriale, la présence d’un éventuel shunt extracardiaque est à investiguer, le plus communément rencontré étant la persistance du canal artériel (PCA).

Algorithme résumant l'approche diagnostique des six groupes d'hypertension pulmonaire (HTP) à envisager suite à l’identification d’une probabilité intermédiaire à élevée de la présence d’une HTP par échocardiographie.

Figure 2 : Algorithme résumant l’approche diagnostique des six groupes d’hypertension pulmonaire (HTP) à envisager suite à l’identification d’une probabilité intermédiaire à élevée de la présence d’une HTP par échocardiographie. D’après Reinero et al.20201

Une PCA « classique » avec shunt gauche-droit est typiquement associée à la présence de nettes turbulences émergeant au niveau de la bifurcation des artères pulmonaires (figure 3). En l’absence de celles-ci, et dans le contexte d’une HTP, l’hypothèse d’une PCA dont le shunt se serait « inversé » secondairement à l’élévation de la pression artérielle pulmonaire, dépassant alors la pression artérielle systémique, est à envisager.

turbulences caractéristiques de la présence d’une persistance du canal artériel (PCA) avec shunt gauche-droit, émergeant dans le tronc pulmonaire (TP) au niveau de la bifurcation des artères pulmonaires, visualisées sur une coupe petit axe transaortique modifiée par abord parasternal droit réalisée sur un chaton Européen de 3 mois.

Figure 3 : Pour comparaison : turbulences caractéristiques de la présence d’une persistance du canal artériel (PCA) avec shunt gauche-droit, émergeant dans le tronc pulmonaire (TP) au niveau de la bifurcation des artères pulmonaires, visualisées sur une coupe petit axe transaortique modifiée par abord parasternal droit réalisée sur un chaton Européen de 3 mois.

Pour explorer la possibilité d’une PCA avec shunt droit-gauche, la réalisation d’une étude de contraste est indiquée, par le biais de l’administration dans une veine céphalique d’un petit volume de soluté de perfusion isotonique préalablement émulsionné vigoureusement, créant ainsi de petites bulles visibles à l’échographie. L’identification de la présence de ces bulles dans l’aorte abdominale (figure 4) confirme que le soluté a emprunté le trajet suivant : veine céphalique -> veine cave craniale -> atrium droit -> ventricule droit -> tronc pulmonaire -> aorte thoracique descendante via le canal artériel persistant et enfin -> aorte abdominale.

Visualisation de bulles dans l’aorte abdominale (flèche) confirmant le diagnostic de persistance du canal artériel (PCA) avec shunt droit-gauche (shunt dit « inversé »).
Figure 4 :

Visualisation de bulles dans l’aorte abdominale (flèche) confirmant le diagnostic de persistance du canal artériel (PCA) avec shunt droit-gauche (shunt dit « inversé »).

Quelle approche thérapeutique envisager ?

Alors que la prise en charge de choix pour une PCA avec shunt gauche-droit est une fermeture précoce du canal, l’occlusion d’une PCA avec shunt « inversé » est actuellement considérée comme contre-indiquée, par son risque élevé de mortalité per ou post-opératoire. Dans l’objectif de diminuer la pression artérielle pulmonaire, l’ajout d’un vasodilatateur pulmonaire tel que le sildenafil est indiqué, permettant dans certains cas de restaurer un différentiel de pression suffisant pour « réinverser » le sens du flux au sein du canal artériel. Une ligature chirurgicale ou une occlusion par méthodes interventionnelles du canal artériel persistant peut alors s’envisager.2

Dans le cas de notre patient, un traitement à base de sildenafil (0,7 mg/kg TID) et de pimobendane (0,22 mg/kg BID) a été progressivement instauré, sans effet visible sur le sens du shunt au sein du canal artériel persistant aux échocardiographies de contrôle réalisées 2, 6 et 18 mois après le diagnostic. La présence d’un shunt droit-gauche s’accompagnant d’un risque de polycythémie secondaire, l’hématocrite a été évalué à chaque consultation, restant parfaitement dans les valeurs usuelles de l’espèce (de 35 à 40%). En cas de polyglobulie sévère et de signes cliniques associés, la réalisation de phlébotomies à intervalles réguliers ou l’administration d’hydroxyurée est actuellement recommandée.1,3

Quel est votre pronostic pour ce chat ?

A l’heure actuelle, seuls quelques rares cas de chat atteints de PCA avec shunt droit-gauche ont été publiés dans la littérature, limitant considérablement notre recul sur cette cardiopathie congénitale. Les espérances de vie décrites chez le chat sont extrêmement variables, allant de seulement 24h à plus de 8 ans.2,4 Le chat sur lequel nous nous focalisons reste stable au moment de la rédaction de cet article, 2 ans après le diagnostic, ne présentant qu’une légère intolérance à l’effort sans impact sur son état général ou sa qualité de vie d’après ses propriétaires.

A noter que davantage de données sont accessibles pour l’espèce canine, chez qui la présence d’une insuffisance cardiaque congestive droite (ICCd) au moment du diagnostic a été identifiée comme étant un facteur pronostique négatif, les médianes de survies variant de 58 jours dans le groupe en ICCd contre 5 ans en l’absence de celle-ci.4

 

Références

1 Reinero C, Visser LC, Kellihan HB, et al. ACVIM consensus statement guidelines for the diagnosis, classification, treatment, and monitoring of pulmonary hypertension in dogs. Vet Intern Med. 2020 Mar;34(2):549-573.

2 Novo-Matos J, Hurter K, Bektas R, et al. Patent ductus arteriosus in an adult cat with pulmonary hypertension and right-sided congestive heart failure: hemodynamic evaluation and clinical outcome following ductal closure. J Vet Cardiol. 2014 Sep;16(3):197-203.

3 Moore KW, Stepien RL. Hydroxyurea for treatment of polycythemia secondary to right-to-left shunting patent ductus arteriosus in 4 dogs. J Vet Intern Med. 2001;15:418-421.

4 Greet V, Bode EF, Dukes-McEwan J, et al. Clinical features and outcome of dogs and cats with bidirectional and continuous right-to-left shunting patent ductus arteriosus. J Vet Intern Med. 2021 Mar;35(2):780-788.